Listing 1 - 10 of 22 | << page >> |
Sort by
|
Choose an application
Acadians --- Biculturalism --- Acadiens --- Biculturalisme --- Nova Scotia --- Nouvelle-Ecosse --- Social conditions --- Conditions sociales --- Acadians. --- Acadiens. --- Biculturalisme. --- Kulturpolitik --- Akadien --- Social conditions. --- Kulturpolitik. --- Akadien. --- Biculturalism - Nova Scotia --- Nova Scotia - Social conditions
Choose an application
Choose an application
EÃÂcrire une preÃÂface aàce livre troublant et lucide, d'une luciditeàqui nous faisait deÃÂfaut sur nous-meÃÂmes, ne m'a pas eÃÂteàfacile. J'ai longtemps chercheàla manieÃÂre de m'en tirer sans dommage. Avec eÃÂleÃÂgance. Aàchaque reprise je me retrouvais au meÃÂme point, incapable de prendre et garder mes distances ; en toute subjectiviteÃÂ. Aussi bien me suis-je reÃÂsigneàaàme mettre en cause et aàvous impliquer. Car nous sommes, vous et moi, pour ainsi dire, partenaires dans cette humble trageÃÂdie : quel autre nom preÃÂtendez-vous donner aàce mal dont je souffre et vous tiens responsable ? Si un jour vous acceptiez de nommer cette instance, peut-eÃÂtre pourrions-nous enfin la reÃÂsoudre. Mais cela serait beaucoup vous demander. Aussi bien par mes propos je m'efforcerai de vous y astreindre. De cet effort je n'attends pas grand-chose sauf de deÃÂcouvrir le chemin de ma liberteàen nommant mes empeÃÂchements. Je preÃÂtends exaspeÃÂrer en moi le sentiment de l'obstacle qui est la seule explication valable de mon insignifiance en terre d'AmeÃÂrique. Nous sommes, paraiÃÂt-il, six millions et n'avons laisseàde trace que sur les arbres. Je chercherai donc aàvous deÃÂcrire tel que je vous percçois, c'est-aÃÂ-dire en tant que colonisateur de ma conscience de coloniseÃÂ, et aàen reÃÂcolter un sentiment adeÃÂquat.X Je ne vous eÃÂtonnerai pas en affirmant tout de suite que je me sens viseàpar l'Acadie dont vous eÃÂtes la neÃÂgation par personne interposeÃÂe. Vous avez confieàcette sale besogne au maire Jones et vous en lavez les mains. Tant que nous avons veÃÂcu dans le vase clos d'un royaume qui n'eÃÂtait pas de ce monde, nous pouvions facilement nous payer de mots. DeÃÂs lors que nous avons entrepris de quitter nos villages et notre silence nous avons rencontreànotre reÃÂduction. Toute tentation d'eÃÂtre s'est buteÃÂe aàvos refus. Vous aviez deÃÂjaÃÂ, pour ainsi dire, reÃÂfuteÃÂ, eÃÂlimineàles francophones de l'Ouest. Ceux d'Acadie ne sont pas en treÃÂs bonne posture. Vous avez partout susciteàdes maires Jones. Vous n'eÃÂtes pas le maire Jones mais vous le permettez, vous ne l'avez pas empeÃÂcheàtout du long de notre histoire. Vous eÃÂtes celui qui se cache derrieÃÂre. Le maire Jones je n'ai rien aàlui reprocher. C'est un pauvre type. C'est aux autres que je m'adresse non pour qu'ils me comprennent mais pour bien les identifier, pour mieux les connaiÃÂtre. Non pas pour les reÃÂfuter mais pour ne plus rien espeÃÂrer. Et c'est de ce refus d'espeÃÂrer que je voudrais m'entretenir avec moi-meÃÂme et avec vous sans preÃÂtendre eÃÂveiller votre attention mais pour nommer mon deÃÂsespoir de cause. Car je n'ai plus rien aàconfier aàune providence des conqueÃÂtes.L'Acadie, je vous le dirai tout de suite, est une autre forme, et des plus ameÃÂres, de mon propre exil. Je suis deÃÂlogeàd'Acadie comme de moi-meÃÂme. C'est laàque j'ai reÃÂaliseàle plus cruellement aàquel point j'eÃÂtais releÃÂgueàau discours que je vous tiens depuis deux sieÃÂcles et preÃÂsentement. Vous eÃÂtes partout ailleurs et sans l'ombre d'un doute. Je ne suis que dans le discours ouàj'ai eÃÂlu domicile. Autrefois je pouvais encore garder le silence. Ma preuve eÃÂtait faite. Elle avait la forme d'un toit et le gouÃÂt du pain. Aujourd'hui quand je deÃÂpose la parole et ses intentions et ses chimeÃÂres, je m'expatrie, je reÃÂinteÃÂgre la capitulation, je deviens locataire du quotidien, je change d'identiteÃÂ. Tous mes gestes, tous mes actes me contredisent. Je m'absente de mes propres deÃÂfinitions. J'acheÃÂte le pain des autres. Je range mes images dans l'imagerie. J'endosse une citoyenneteÃÂ, une eÃÂtrangeteÃÂ, une conformiteàque je n'ai pas choisies. Je m'eÃÂvanouis dans la force des choses. Je me renie en toutes lettres. Et le coq a chanteàdepuis deux sieÃÂcles sur mes innombrables capitulations. Je me comporte comme si jamais je n'avais envisageàautre chose, comme si aucune leÃÂgitimiteàne rongeait mes entraves. Comme si l'alouette avait pour toujours renonceàaàla coleÃÂre. Au point que l'autre en arrive aàse laisser reÃÂconforter par une telle soumission, par les apparences. Il est satisfait de reÃÂduire tout mon enteÃÂtement, tous mes discours et poeÃÂmes et chansons au pittoresque des caleÃÂchiers du ChaÃÂteau Frontenac puisque les XI| portiers obseÃÂquieux, les garcçons d'ascenseur, de table, de chambre, les bagagiers, les cuisiniers, et les managers parlent angleterrien. Il les trouve irreÃÂprochables et d'une politesse exquise. Il refuse d'entendre le silence qui en dit long. Comment mettre en doute sa leÃÂgitimiteà? Toutes les apparences lui donnent raison. Il n'arrive pas aàse percevoir comme l'autre. Et comme le maire Jones quand il refuse de nous entendre, vous eÃÂtes persuadeàque nous n'existons pas. Notre impuissance vous donne raison. Quand nous ressentons l'offense, c'est pour reÃÂinteÃÂgrer le discours. Paternellement vous nous dissuadez meÃÂme de notre langage pour nous remettre aànotre place, qui est celle de tout le monde. Et vous croyez nous avoir rendu justice en nous, confondant, en nous conceÃÂdant le droit de n'eÃÂtre rien d'autre que vous, en nous reÃÂduisant aàune citoyenneteàbritannique sans nuance. Et nous ne pouvons que protester pour la forme.PreÃÂtendre que l'Acadie n'a de lieu que dans le discours, n'est-ce pas deÃÂsavouer le discours lui-meÃÂme ? N'est-ce pas donner raison aàl'autre ? Pourtant Jean-Paul Hautecà Âur y consacre cet ouvrage et toute son application. Est-ce pure deÃÂrision ? Et cet eÃÂtrange discours ne connaiÃÂt qu'un seul propos. Il deÃÂcrit, il raconte, il s'efforce de cerner, de situer, de nommer un royaume qui n'existe pas ailleurs que dans le discours. Quelqu'un a rayeàle mot Acadie sur la carte du monde. Un peuple se dit acadien et se retranche dans cette geÃÂographie de l'aÃÂme : le discours. Et il n'a d'autre certitude, d'autre preÃÂtexte, d'autre entreprise que cette parole qu'il tient comme une auberge. L'auberge du reÃÂve. Tout le reste lui est deÃÂrobeÃÂ. Il est reÃÂduit aàune parole qui ne change pas le cours des eÃÂveÃÂnements. Et je reconnais cette parole ouàj'ai investi tous mes deÃÂsespoirs, qui me sert aàameÃÂnager le refuge ouàje preÃÂserve contre votre confeÃÂdeÃÂration une identiteàchimeÃÂrique, illeÃÂgale et clandestine. Une parole qui s'effrite, qui s'eÃÂrode, d'avoir aàn'eÃÂtre jamais veÃÂcue. Une parole aàrefaire chaque jour, aàrecommencer, preÃÂcaire, instable, fuyante, anachronique. Car je ne m'y reconnais pas moi-meÃÂme, ni mes fils voueÃÂs aàd'autres musiques. Comme celui, dont parle Fernand Dumont, forceàde vivre dans une maison imagineÃÂe par l'autre, qui ë refait sans cesse son lieu par la parole û, sans cesse je m'acharne aàune parole eÃÂtrangeÃÂre au veÃÂcu. Sorte de cineÃÂma qu'on se fait aàsoi-meÃÂme pour ne pas se reÃÂsoudre tout de suite aàcette plus que mort : une identiteàsuspendue, deÃÂtourneÃÂe, falsifieÃÂe. Ce qu'on pourrait appeler une parole en l'air, provision en vue d'un voyage purement hypotheÃÂtique. De la poeÃÂsie en somme. C'est en toutes lettres ce qu'on a bien nommeàl'alieÃÂnation, cette chimeÃÂre qui s'accommode laborieusement d'un veÃÂcu deÃÂtroÃÂneÃÂ, qui entretient un espace XII irreÃÂel ouàles projets se consument d'eux-meÃÂmes. Il y eut l'homme des cavernes. Comme l'Acadien j'habite une leÃÂgende, un discours auquel je ressemble de moins en moins, une citoyenneteàideÃÂologique et sans passeport. Je suis l'homme des tavernes ouàle vendredi je fourbis des coleÃÂres inoffensives.Ce livre nous permet donc d'assister aàl'eÃÂtrange construction d'un immense eÃÂdifice de paroles. Ne cherchez l'Acadie nulle part ailleurs. Elle est tout entieÃÂre dans ce discours que les Acadiens tiennent sur eux-meÃÂmes parfois sans trop y croire. Un chaÃÂteau de cartes qui s'eÃÂcroule au moindre vent de la reÃÂaliteÃÂ. Elle n'a nulle part ailleurs la moindre signification tangible, ni dans la geÃÂographie du New Brunswick (sauf quelques noms de villages encore toleÃÂreÃÂs), ni dans la politique de la Nova Scotia, ni dans le commerce de la Prince Edward Island, ni surtout dans la bieÃÂre et le pain quotidiens. Quand un peuple s'est reÃÂsigneàaàne plus faire son pain ni aàbrasser lui-meÃÂme sa bieÃÂre, aàquoi peut lui servir de preÃÂserver le discours ? Sinon aàsouffrir. Peut-eÃÂtre se trouve-t-il encore quelque part dans la maison du bout du rang d'une dernieÃÂre concession un colon peÃÂrimeàqui cherche aàtenir, aàla hache, l'antique langage des deÃÂfricheurs qui est le seul discours que nous ayons tenu dans la reÃÂaliteÃÂ. Et il s'efforce pour le compte d'un avenir illusoire aàenclore avec les perches de ceÃÂdre une ancienne ideÃÂe de royaume. Il est le dernier responsable d'une entreprise partout ailleurs avorteÃÂe. Comme l'Abitibi,il est sur le point de rendre les armes. On lui avait pourtant promis un royaume. Ses cureÃÂs, ses hommes politiques les plus eÃÂminents (c'eÃÂtait pas des trous-de-cul, dirait Hauris) lui ont dit en toutes lettres : ë un royaume vous attend û et il a cru, le colon du bout du rang, qu'il deÃÂfrichait pour ë les anneÃÂes aàvenir et futures û sa part du royaume. Et il a passeàaux actes comme en Octobre. Il a recommenceàtoute l'histoire aàla hache. Il a enclos un royaume ë grand comme la France û. Et maintenant il est seul au bout du rang aàne pas y croire. Aàrefuser de reÃÂfuter lui-meÃÂme toute une vie. Aàne pas comprendre qu'il eÃÂtait rachetable. Aàne pas comprendre que ce qu'il a deÃÂfricheàpuisse eÃÂtre tombeàentre les mains de la Noranda Mines, de la Domtar, de l'autre. Entre vos mains. Et ni moi je ne comprends rien au courage. Je ne comprends pas comment aàchaque coup vous avez reÃÂcupeÃÂreàtous nos coups de hache. Et si ce n'est vous, c'est donc votre freÃÂre. Mais il y a quelque part une trahison. Peut-eÃÂtre faut-il questionner le colon du bout du rang pour savoir qui a accepteàles trente deniers. Peut-eÃÂtre le savons-nous deÃÂjaàtrop bien.Nous avons donc deÃÂserteàle reÃÂel pour le poeÃÂme. Les haches ne sont plus possibles. Comment deÃÂsormais passer aux actes ? Quelle eÃÂnergie reste [XIII] possible qui fasse eÃÂclater le discours ? Les haches qui autrefois agrandissaient le royaume, les haches elles-meÃÂmes sont devenues mercenaires et travaillent pour les compagnies. Il ne nous reste qu'une imitation du reÃÂel (carnavals pour touristes bien intentionneÃÂs et logeÃÂs au Hilton et au Holiday Inn) qu'on pourrait appeler folklore si cela n'eÃÂtait pas outrager un mot qui n'a pas meÃÂriteàtelle mauvaise fortune. L'Acadien s'est reÃÂfugieàdans son propre pittoresque et il a lui aussi, comme nous, timidement, entrepris d'en avoir honte et de vendre ses courtepointes et ses chansons. D'ailleurs c'est par cette feneÃÂtre du grenier que l'autre le regarde. C'est la seule diffeÃÂrence qu'il lui conceÃÂde. Il est devenu le typical french canadian, une varieÃÂteàneÃÂgligeable des sujets de Sa MajesteÃÂ. L'autre refuse meÃÂme de consideÃÂrer autre chose que la chanson et les courtepointes inoffensives. Pour le reste ils sont sujets de Sa MajesteÃÂ, soldats de Sa MajesteÃÂ. Et le discours nous est renvoyeàcomme une balle par un mur : celui de votre indiffeÃÂrence aànotre singulariteÃÂ. Et certains finissent par vous croire :Quand c'qu'on a joint le service ... dansla dernieÃÂre guerre... ils nous ont pas demandeÃÂsi on eÃÂtait Acadiens ou ... Ils nous ont demandeÃÂ...On eÃÂtait un Canadien. Pas meÃÂme francçais, ni anglaisOn eÃÂtait un Canadien.Voilaàcomment un Acadien reÃÂpond de son identiteÃÂ. En questionnant ceux qui l'ont forceàaàë joindre le service û et qui l'ont priveàpour autant de sa langue. Mais peut-eÃÂtre qu'il ne s'inteÃÂresse plus aàsa langue et aàson identiteÃÂ. Peut-eÃÂtre que vous l'avez persuadeàpar votre discours. Car aànotre discours vous avez opposeàle voÃÂtre pour nous deÃÂpouiller de nous-meÃÂmes. Ce qui est une tricherie. Vous avez falsifieànotre aÃÂme et nous sommes quelques-uns aàvouloir la deÃÂterrer, l'eÃÂveiller, la mettre en oeuvre.La parole ainsi deÃÂfinie par les murs, ainsi reÃÂduite aàn'avoir plus d'objet que la chimeÃÂre, inlassablement, s'achemine aàla rencontre de l'histoire qu'elle invoque sans cesse comme ë une permission de Dieu û. Sans toutefois soupcçonner que l'histoire a eÃÂteàdeÃÂrobeÃÂe, soustraite, racheteÃÂe comme l'Abitibi, investie par l'autre. Elle reste belle, la parole, ou meÃÂdiocre, selon les porte-parole. Elle trouve un sens et ne trouve pas d'application. C'est pourquoi elle se reÃÂcuse elle-meÃÂme, ayant expeÃÂrimenteàsa vaniteÃÂ. C'est pourquoi les fils renient la chouenne des peÃÂres incapables de passer aux actes, et aàl'histoire. C'est pourquoi Octobre. C'est pourquoi l'exil des uns, la litteÃÂrature [XIV] des autres, la chanson facile de tous les royaumes proposeÃÂs par la chanson, c'est pourquoi toutes les autres tentations qui nous deÃÂsolidarisent du discours collectif. Car les images s'usent rapidement qu'on ne reÃÂcolte jamais. Quel travail harassant de toujours recommencer dans l'esprit sa propre justification ! Les Juifs y sont parvenus d'une certaine manieÃÂre. Mais une telle fideÃÂliteàaàla couleur des yeux et aàune certaine facçon d'invoquer les violons a-t-elle un sens ? Ce que nous tentons de preÃÂserver, ce que nous cherchons deÃÂsespeÃÂreÃÂment aàmettre au pouvoir, est-ce autre chose qu'une forme que nous avons au preÃÂalable abandonneÃÂe, ceÃÂdeÃÂe comme un dernier carreà? Une aÃÂme depuis longtemps inhabiteÃÂe, livreÃÂe, reÃÂsigneÃÂe, rendue comme une place. Un costume que nous tirons des coffres de ceÃÂdre pour la Saint-Jean, cette feÃÂte annuelle des chimeÃÂres que vous subventionnez et qui ne nous donne en veÃÂriteàaucune raison de nous reÃÂjouir.Et il nous arrive de douter de notre propre leÃÂgende. Nous n'avons gueÃÂre produit de veÃÂriteÃÂs parce que la geÃÂographie n'appartient pas aàla soumission mais au pouvoir. Si le pouvoir n'a pas supprimeàd'avance le mot QueÃÂbec comme il a effaceàle mot Acadie, c'est seulement qu'il n'avait pas preÃÂvu que nous allions nous l'approprier pour nommer nos intentions. Nous n'eÃÂtions aàleurs yeux que des Canadiens-francçais-catholiques, donc inoffensive succursale d'une geÃÂographie entieÃÂrement usurpeÃÂe par l'autre. Mais je vous soupcçonne de l'intention d'investir aàson tour la queÃÂbeÃÂcoisie, cette ideÃÂe geÃÂneÃÂreuse et concreÃÂte, cette forme enfin tangible du royaume aàvenir.Vous n'arrivez pas aàtoleÃÂrer autre chose que le discours. La moindre prise sur le reÃÂel vous importune. Notre seule maiÃÂtrise, notre seule veÃÂriteàqui n'eÃÂtait pas confineÃÂe au discours a eÃÂteàeÃÂnonceÃÂe par la hache des deÃÂfricheurs occupeÃÂs aàenclore le royaume. Jusqu'au jour ouàaàleur tour ils furent reÃÂduits en esclavage, devenant buÃÂcherons, ceÃÂdant l'eÃÂtre aàl'avoir, preÃÂfeÃÂrant le petit pain des Anglais aàleur maiÃÂtrise. Toute la deÃÂfaite est laàet nulle part ailleurs. La conqueÃÂte est reÃÂcente. Elle est d'hier et presque acheveÃÂe. Il ne reste que les gaÃÂteaux Vachon et les skidous Bombardier. Le sens du royaume nous l'avons perdu ce jour-laÃÂ. Menaud a manqueàde courage. Il s'est aàson tour reÃÂfugieàdans le discours, comme son auteur incapable de tirer les conseÃÂquences de son imagination. Car pour tirer il faut des armes et ils n'avaient que la hache et l'eÃÂcriture. Nous avons tout confieàaàl'eÃÂcriture et ceÃÂdeàla politique aux foremen. Nous avons jeteàavec les vieux ostensoirs ostensibles notre enteÃÂtement aàenclore le territoire. Nous avons perdu le sens de la hache et cherchons vainement l'outil, l'arme d'une conqueÃÂte. Nous n'avons rien trouveàde mieux que la parole pour l'instant. Et je vous [XV] parle. Mais c'est moi que je cherche aàconvaincre. J'ai deÃÂsespeÃÂreàdepuis longtemps de faire entendre raison aux chiens meÃÂchants de Moncton ou d'Ottawa et aàceux qui les laissent japper. Je me nomme QueÃÂbec dans l'espoir fou de prendre racine dans ma propre reconnaissance.Sans doute n'avons-nous plus que le choix d'imposer une justice qui ne nous sera pas rendue. Il s'agit pour nous de nous rendre aàcette eÃÂvidence. Je m'excuse de la longueur du cheminement. Nous avons meÃÂme besoin de votre assistance pour rendre notre preÃÂtention irreÃÂconciliable. Votre indiffeÃÂrence nous reÃÂduit aàla haine. Mais la haine est un territoire, une reÃÂaliteàqui donne un sens aàl'avenir. C'est pourquoi j'ai choisi de me mettre en cause et de vous eÃÂcrire. Je connais d'avance toutes les reÃÂponses mais je preÃÂtends les eÃÂprouver encore une fois comme pour me couper la retraite. J'aurais pu m'adresser au maire Jones. J'ai preÃÂfeÃÂreàvous inventer de toutes pieÃÂces, vous conceÃÂder toute la noblesse de l'esprit, vous faire creÃÂdit de sagesse, vous choisir parmi les meilleurs. Et vous demander ce que vous pensez de ceux qui ont proposeàen votre nom la fin des nationalismes aàune nation qui a mis trois sieÃÂcles aàse nommer. Je vous propose donc mon discours, ce candidat au reÃÂel. Allez-vous l'empeÃÂcher de naiÃÂtre ? Le renvoyer aàl'utopie par la force que vous deÃÂtenez ? Et j'invoque ici l'esprit. Quest-ce que l'esprit ? N'est-ce pas un lieu ouànous avons en commun cette capaciteàde ne pas reÃÂduire l'homme aàla loi du plus fort. Et qu'est-ce que l'homme sinon cette force qui finit toujours par venir aàbout de la force et des oppressions. Si je suis l'opprimeàdont j'ai la conscience, il doit bien y avoir quelque part un oppresseur. Aurez-vous le courage de le nommer vous-meÃÂmes ? J'en appelle non pas aàvotre peuple, non pas aàl'histoire, non pas aàla rentabiliteàdont vos marchands preÃÂtendent qu'elle est la seule reÃÂgle, mais aàce qui en vous reÃÂpugne au meurtre, au geÃÂnocide et aàl'hypocrisie du bilinguisme ouàon nous pousse pour mieux nous enliser. Est-il parmi vous un seul juste pour prendre la peine de reÃÂpondre autrement que par la force aàmon inquieÃÂtude deÃÂsespeÃÂreÃÂe ? Ou alors n'eÃÂtes-vous tous que les humbles sujets de la barbarie fondamentale ? et rentable ?Je ne preÃÂtends pas pour l'instant refaire l'histoire mais la soumettre aàvotre reÃÂflexion. Le monde est parsemeàd'hypotheÃÂses geÃÂneÃÂreuses qui souvent refusent de tenir compte de quelques indigeÃÂnes d'Amazonie qui se permettent, en 1975, de cribler de fleÃÂches quelques inoffensifs explorateurs blancs. Qu'est-ce qui est inoffensif quand il s'agit de l'histoire ? Vous invoquez l'histoire et ne reconnaissez que la force. Ce qui ne vous empeÃÂche pas de preÃÂtendre que XVI]pour eÃÂviter les rapports de domination entre individus, entre groupes, il faudrait s'ouvrir sur le plus grand systeÃÂme possible : l'humaniteÃÂ. On y vient lentement depuis des sieÃÂcles. Dans le sang. (Henri LABORIT)Un jour je vous parlerai du sang. En attendant je ne vous tiens pas responsable des Croisades, ni des geÃÂnocides qui ont assureàvotre empire. Ni meÃÂme de cette intention de deÃÂpasser les confeÃÂdeÃÂrations, un jour, vers le haut, vers le plus grand systeÃÂme possible ; l'humaniteÃÂ, ce qui vous autorise aàne pas entendre pour l'instant mon discours ni celui des Indiens d'Amazonie. Du systeÃÂme actuel je retiens que vous eÃÂtes le beÃÂneÃÂficiaire, l'heÃÂritier leÃÂgitime si on ne respecte que les reÃÂgles du systeÃÂme. Vous avez heÃÂriteàde la force. Avez-vous retenu d'autres lecçons ? Nous avons heÃÂriteàde la faiblesse et invoquons l'usurpation. Tous vos peÃÂres ne furent pas guerriers. Certains eÃÂtaient musiciens, peintres, humanistes, pieux, reÃÂformateurs. Tous ont profiteàde la force. Votre cineÃÂma Western est une preuve eÃÂclatante de la barbarie. Vous avez eÃÂteàcribleÃÂs de fleÃÂches par les Sauvages. Vous avez fait justice. Vous avez pris vos mesures de guerre. Vous n'avez eÃÂpargneàque les vaincus ... dont je suis. Vous eÃÂtes donc l'heÃÂritier d'une conqueÃÂte, et moi celui d'une deÃÂfaite. Je n'ai dans votre systeÃÂme pas plus de droit aàla souveraineteàque l'Indien montagnais qui contemple la mine de fer de Schefferville. Je pourrais vous cribler de fleÃÂches si j'avais l'innocence d'un indigeÃÂne d'Amazonie. Je pourrais m'engager dans les eÃÂveÃÂnements d'Octobre. D'ouàvient que je m'en tiens au discours ? Aàcette entreprise deÃÂrisoire de vous expliquer que nous sommes six millions aàne pas vous ressembler. Six millions reÃÂduits aàcet apprentissage de la haine qui progresse en moi comme une identiteÃÂ.Bien suÃÂr je n'attends pas que le Canada donne au monde l'exemple d'une sagesse capable de nous rendre aànous-meÃÂmes, de nous restituer un avenir. Je reconnais que seule la force nous donnera raison. Mais j'imagine parfois que l'esprit que je vous conceÃÂde pourrait deÃÂnoncer la domination dont vous tirez, je le reconnais, beaucoup d'avantages, un certain sentiment de puissance dont vous preÃÂtendez ne pas abuser mais dont vous ne songez pas aàvous deÃÂpartir. J'en appelle donc aàvotre humaniteÃÂ, ce plus grand systeÃÂme possible dont parle un certain Laborit, aàqui vous avez donneàle prix Lasker. DeÃÂmarche deÃÂsespeÃÂreÃÂe, s'il en fut, sauf pour sauvegarder l'estime. DeÃÂmarche steÃÂrile, sans doute, sauf pour deÃÂmontrer l'irreÃÂconciliable, sauf pour vous exclure de mon humaniteÃÂ. Celui qui n'a pas d'allieÃÂ, il doit avant tout pouvoir bien nommer ses ennemis. Je tiens aàvous signaler que vous [XVII] eÃÂtes plus excusable de m'opprimer dans les faits que de ne pas l'admettre dans l'esprit. Je refuse votre neutraliteÃÂ. En cette occurrence ayez au moins le courage de prendre votre parti meÃÂme s'il contredit la justice. Nous nous sommes confieÃÂs aàla parole, n'ayant pas d'autre gardien. Vous avez pu en toute liberteàvous laisser aller aàl'imaginaire, aàl'invention, aàla connaissance, ayant confieàaux armes, aàla force et aàla politique le soin des basses besognes, dont l'extermination des Beotuks, la deÃÂportation des Acadiens et l'assimilation des QueÃÂbeÃÂcois. Vous avez l'aÃÂme belle pour autant et il vous arrive de vous apitoyer sur les beÃÂbeÃÂs-phoques, ce qui ne demande pas un bien grand courage. Or je suis un beÃÂbeÃÂ-phoque et ma race est en peÃÂril. Que vous importe ? Je n'ai pour me deÃÂfendre qu'un discours qui ne parvient pas aàvos oreilles. Et ce discours qui n'en peut plus de ne pas passer aux actes (mais que reste-t-il aàfaire en dehors du deÃÂsespoir) je lui confie le soin de vous questionner en votre aÃÂme et conscience, de vous expliquer que votre force est en creux dans ma faiblesse, que vous eÃÂtes aàmon deÃÂtriment. Je vous propose de me rendre possible en theÃÂorie. N'avez-vous pas d'autres outils pour vous faire valoir que l'usurpation ? N'avez-vous pas sur l'univers une vision moins grossieÃÂre que celle de la United Fruit ? Je n'ai pour me deÃÂfendre que ce discours et mon exaspeÃÂration croissante, et mon ignorance. Vous eÃÂtes devenu ce que vous avez usurpeÃÂ. Mais ne vous reÃÂjouissez pas outre mesure de votre culture. Elle pue de mes sueurs de buÃÂcheron. Il y a du sang de NeÃÂgre dans les veines du marbre de vos salles, de bain. Mais je ne vous demande pas de me rendre mon passeÃÂ. Je vous acquitte de tout ce que vous m'avez deÃÂrobeÃÂ. J'accepte de me recommencer aàzeÃÂro, au bout du rang. Je n'exige qu'une simple chose que vous nommez, si je ne m'abuse, vous aussi, liberteÃÂ. Je ne demande que mon destin, ma leÃÂgitimiteÃÂ, pour les - anneÃÂes aàvenir et futures û. Je n'implore pas votre aide. Je ne preÃÂtends pas que vous ayez le courage de Byron en faveur de ma libeÃÂration. Je sais que j'aurai aàme battre, et que le dominateur consideÃÂre la feÃÂodaliteàcomme un droit. Mais que vous l'admettiez seulement. Verbalement. Rien n'est plus platonique. Une simple reconnaissance du bout des leÃÂvres sans engagement de votre part. Mais j'ai bien peur que vous n'ayez pas meÃÂme cet eÃÂleÃÂmentaire courage de l'esprit et cela eÃÂquivaut aànier l'existence aàsix millions d'hommes, aàendosser leur eÃÂventuel et prochain aneÃÂantissement. Il faut admettre que vous avez l'habitude de ces malheureux accidents de parcours. On ne domine pas le monde avec des prieÃÂres, diraient Duplessis et Trudeau. Ils sont alleÃÂs aàbonne eÃÂcole, il faut l'avouer.[XVIII] Allons-nous nous reÃÂsigner aàcette loi de la jungle, aàces douteuses leÃÂgitimiteÃÂs de la force qui donnent droit aux femelles en rut ? N'avons-nous pas envie d'un autre orgueil pour satisfaire la penseÃÂe et pour eÃÂcrire l'histoire ? L'aristocratie n'a jamais eÃÂteàautre chose que la domination du plus fort. En sommes-nous toujours aàcette reÃÂgle grossieÃÂre pour eÃÂtablir les souveraineteÃÂs ? Je sais bien que vous n'eÃÂtes pas responsables des meÃÂcanismes quasi biologiques qui ont eÃÂrigeàla force, enclos le territoire, endoctrineàles sentinelles, pointeàles canons et geÃÂneÃÂreàcet hybride effarant et robotique qui obeÃÂit aux ordres sans poser de question aàla trageÃÂdie : le policier. Qu'un tel comportement suggeÃÂre une comparaison avec celui des rats n'eÃÂtonnera personne. Par contre l'homme dispose d'un cerveau qui est le sieÃÂge de l'imaginaire. Il peut inventer le monde et ses reÃÂgles. Pourquoi faut-il que l'homme qui pense recule toujours devant celui qui agit ? Il ne proteste qu'aàdistance respectueuse et encore pourvu qu'il y trouve son avantage. Les poeÃÂtes ont souvent servi les princes. La penseÃÂe n'a pas encore fait la conqueÃÂte du pouvoir et s'il lui arrive de le prendre elle ne se reÃÂsout pas aàle remettre aàl'imaginaire. Et c'est l'imaginaire toujours qui ceÃÂde aàla force, aàl'armeÃÂe, aux corps expeÃÂditionnaires, aux grands eÃÂlecteurs du royaume comme ITT, Canadian Bechtel, Alcan, Domtar. Tout se passe toujours comme si l'action deÃÂformait la penseÃÂe, l'asservissait, la conscrivait de telle sorte que celle-ci finisse toujours, aàl'extreÃÂme, par deÃÂfroquer de son humaniteÃÂ. Comme si le biologique l'emportait infailliblement sur le patheÃÂtique. Pourtant vous n'avez pas l'excuse du pouvoir, comme les colombes, pour ainsi contraindre l'imaginaire au silence complice, pour obeÃÂir aux ordres.Je n'ignore pas en conseÃÂquence que l'homme se sente perpeÃÂtuellement menaceàpar l'homme. Et que vous soyez preÃÂt aàdeÃÂfendre votre pays contre tout agresseur. Comme moi le mien. Or il se trouve que c'est le meÃÂme, du moins en partie. Il reste aàdeÃÂterminer qui est l'agresseur. Est-il possible d'en douter ? Et faut-il preÃÂfeÃÂrer son pays aàla justice ?ë J'aime trop mon pays pour eÃÂtre nationaliste û, a dit Camus et dirait Trudeau s'il pouvait s'exprimer avec adresse. Encore faut-il avoir un pays pour en dire autant. Vous m'avez priveàde cette liberteàen exercçant votre force, votre richesse, en vous portant acqueÃÂreur de mes vieilles armoires pour les exorciser, en satisfaisant votre eÃÂnorme appeÃÂtit de richesses naturelles, en deÃÂvorant nos foreÃÂts avec nos bras, en fondant vos universiteÃÂs sur une richesse que vous avez reÃÂussi aànous rendre inaccessible. En refusant le partage vous me forcez aàla seÃÂparation. Cette puissance d'attraction, vous la nommez instinct de conservation. Quand cet instinct s'exerce aux antipodes, vous le qualifiez d'impeÃÂrialisme. Il s'agit encore et toujours de XIX s'approprier l'histoire par tous les moyens. Toute conqueÃÂte releÃÂve de cet instinct et d'un deÃÂsir inavoueàde pillage. Voulez-vous connaiÃÂtre vos motivations ? Il suffit de lire ce qu'eÃÂcrivait en octobre 1755, un certain Lawrence (connaissez-vous cet homme qui eÃÂtait en quelque sorte le maire Jones de son eÃÂpoque ?) : ë Je me flatte d'espeÃÂrer que l'eÃÂvacuation du pays par les habitants haÃÂtera grandement cet eÃÂtat de choses (soit l'eÃÂtablissement de colons anglais sur les terres acadiennes) parce qu'elle nous met immeÃÂdiatement en possession de grandes quantiteÃÂs de bonnes terres preÃÂtes aàla culture. û Voilaàpour le pillage. Aujourd'hui les meÃÂthodes ne sont plus les meÃÂmes mais je maintiens que la fermeture actuelle de l'Abitibi au seul profit des compagnies minieÃÂres et forestieÃÂres releÃÂve de la meÃÂme intention fondamentale qui organise l'eÃÂvacuation du pays en deÃÂportant les Acadiens. Il s'agit toujours de reprendre le royaume, de le deÃÂrober.Une lettre dateÃÂe du 9 aouÃÂt 1755 est encore plus explicite aàpropos de ce que Lawrence lui-meÃÂme nomme pieusement l'eÃÂvacuation :Nous formons actuellement le noble et grand projet de chasser de cette province les Francçais neutres qui ont toujours eÃÂteànos ennemis secrets et ont encourageànos sauvages aànous couper la gorge. Si nous pouvons reÃÂussir aàles expulser cet exploit sera le plus grand qu'aient accompli les Anglais en AmeÃÂrique car, au dire de tous, dans la partie de la Province que ces Francçais habitent, se trouvent les meilleures terres du monde.En deux mots, vous aviez peur des Sauvages et envie des terres. Mais je ne vous cite pas, pour la millieÃÂme fois, ce discours lamentable dans le but de vous accuser de meÃÂfaits anciens mais pour deÃÂcrire la situation preÃÂsente. Vous n'avez pas cesseàdepuis 1755, depuis 1760 de vous comporter en agresseur, de nous assieÃÂger dans toutes nos maiÃÂtrises. Encore un peu, vous rachetiez l'Oratoire Saint-Joseph pour mieux nous exploiter. Nous n'avons meÃÂme plus d'orgueil tellement vous nous avez deÃÂpouilleÃÂs. Et quand vous levez le drapeau blanc du bilinguisme c'est pour mieux camoufler les dernieÃÂres opeÃÂrations qui consistent aànous dissuader de nos intentions deÃÂsespeÃÂreÃÂes.Quand le maire Jones en feÃÂvrier 1968 oblige le conseil municipal, de Moncton en deÃÂpit des protestations timides de maiÃÂtre LeÃÂonide Cyr, eÃÂchevin francophone mais bilingue, aàpreÃÂter le serment d'alleÃÂgeance aàla reine XX d'Angleterre, n'est-il pas lui aussi inspireàpar la meÃÂme peur des sauvages (les eÃÂtudiants) et par la cupiditeà? Et voici, pour votre eÃÂdification, le texte de ce serment qui nous est odieux :I do sincerely promise and swear that I will be faithful and bear true allegiance to her Majesty Queen Elizabeth the Second and that I will defend her to the utmost of my power against all trai-tors, conspiracies or attempts whatsoever.Qu'en dites-vous ? Or donc si vous ne reÃÂcusez Jones et Lawrence je suis votre ennemi. Car Jones obligeait le pauvre LeÃÂonide Cyr aàpreÃÂter tel serment aàcause de la menace terrifiante d'une timide deÃÂleÃÂgation d'eÃÂtudiants francophones reÃÂclamant du bilinguisme aàl'hoÃÂtel de ville, ce qui leur fut refuseÃÂ. Et mon pays serait le voÃÂtre ? Or je reÃÂclame de Jones et de vous bien davantage. Je suis donc un traiÃÂtre. Je menace vos fortifications. Que ferez-vous de mon exaspeÃÂration ? Bien suÃÂr je me sens mal aàl'aise de vous en demander plus qu'aàLeÃÂonide Cyr, plus qu'aux Acadiens eux-meÃÂmes. Mais les faibles, tout compte fait, se taisent, reÃÂcusent leurs poeÃÂtes, votent pour le maire Jones, respectent la loi et l'ordre, s'efforcent de passer inapercçus. Et quand ils viennent aàl'hoÃÂtel de ville, il suffit de les interrompre, de les forcer aàparler anglais, pour les deÃÂsarcçonner, pour les vaincre une fois de plus sans avoir aàles deÃÂporter. Il suffit de ne pas comprendre leur langue pour qu'ils se sentent coupables. Et alors ils reculent. Ils preÃÂtent le serment d'alleÃÂgeance qui les deÃÂnonce. Ou encore ils prononcent leur nom avec un accent anglais.J'sais pas pourquoi...J'ai meÃÂme dit mon nom en anglaistabarouettechu tanneÃÂe, kalineIreÃÂne DOIRONJe sais que vous allez me dire que la souffrance d'IreÃÂne et la mienne ne sont qu'exceptions. Que nous ne sommes que quelques poeÃÂtes aàressentir l'humiliation. Que les autres s'en accommodent. Que, jusqu'aàce jour, nous n'avons pas assez aimeàla liberteÃÂ. Que cça n'est pas aàvous de faire ce travail. Que nous sommes aànotre compte dans la deÃÂfaite et l'humiliation. Et vous me citez notre grand silence d'Octobre. Nos prisonniers des mesures XXI de guerre, du moins ceux que le cineÃÂma nous a montreÃÂs, eÃÂtaient comme videÃÂs de toute substance. HumilieÃÂs sans orgueil. Prisonniers subissant la prison. AneÃÂantis par les ordres. Je le reconnais. Mais l'homme n'a jamais que le courage de sa force. Et vous avez retenu toute la force par tous les moyens, de Lawrence aàJones. Mais ce silence majoritaire que vous invoquez si souvent pour justifier votre royaume, il n'en aime pas moins la liberteàque nous n'avons pas prise de passer aux actes. C'est cela que vous nous reprochez. Dans notre amour de la liberteÃÂ, il y a un meÃÂpris de la force qui nous retient encore de vous combattre. Nous avons trop appris aàavoir peur du meurtre, peur de ressembler aàLawrence, d'imiter Jones, de vous remplacer tout bonnement dans la domination. C'est pourquoi nous reÃÂsistons aànotre propre reÃÂvolution. Votre histoire n'a pas souvent reculeàdevant la mort des autres. Nous, au contraire, nous meÃÂfions outre mesure de la violence. Et si nous y parvenons, un jour, collectivement, cela sera peut-eÃÂtre graÃÂce aàvous mais cela sera certainement de mauvais greÃÂ. Nous n'avons pas appris aàbaÃÂtir un royaume par ces moyens. Nous avions bien naiÃÂvement confieàcette charge aux deÃÂfricheurs. Et nous espeÃÂrons encore leur rendre, aux deÃÂfricheurs, le pays qu'ils ont aimeÃÂ, qu'ils aiment encore secreÃÂtement et qui est celui que vous exploitez. Chacun sa manieÃÂre. ConsideÃÂrez la diffeÃÂrence. L'amour de la liberteàque nous avons choisi ne s'accommode pas facilement de la violence que vous pratiquez. Et c'est pourquoi nous heÃÂsitons encore. Et c'est pourquoi nous comptons encore sur votre bonne foi, sur votre esprit ... et que vous ne garderez pas pour vous toutes les femelles en rut.Est-il une liberteàdes peuples sans souveraineteà? Est-il un courage des hommes deÃÂsarmeÃÂs ? Je veux reÃÂpondre aàvotre accusation. Nous sommes un peuple soumis, dites-vous. Il est vrai que nos peÃÂres ont invoqueàla providence pour se justifier avec le destin. Le ciel leur servait d'exil. Pour rendre sa soumission habitable, le pauvre s'invente des alliances ceÃÂlestes. Il s'intitule comme il peut. Il s'interceÃÂde un royaume dont personne ne veut. Il devient folklorique au sens ouàil perpeÃÂtue un habitat archaiÃÂque qui le retranche du preÃÂsent, d'autant qu'il n'a aucune maiÃÂtrise sur ce preÃÂsent qui le manipule aàsa guise. Il se donne donc une contenance. Il se promet un royaume qui n'est pas de ce monde. Une telle strateÃÂgie n'est pas appreÃÂciable en terme d'efficaciteÃÂ. Ceux qui meÃÂprisent une telle reÃÂsistance ne savent pas ce qu'il en couÃÂtait de vivre dans les conditions qui leur furent faites. Qui peut deÃÂnoncer son peÃÂre aàbout d'aÃÂge sans risque d'erreur ? Je ne doute pas, pour ma part, que nos peÃÂres (je ne parle pas de nos eÃÂveÃÂques [XXII] comme tous les princes et de nos politiciens) aient reÃÂsisteàau meurtre, au geÃÂnocide, aàl'incessante agression de vos politiques impeÃÂrialistes. Ils ont eÃÂteàrebelles aàleur manieÃÂre. Aàmain nue. Aàla mitaine. Aàla hache et au godendard. Ils ont en quelque sorte amorceàla miseÃÂre : le blaspheÃÂme qui rapieÃÂce notre langage n'est-il pas la trace futile d'une coleÃÂre impuissante ? Un jour je vous parlerai de la coleÃÂre. Ils ont porteàsur leur dos la coleÃÂre jusqu'aàce jour qui s'appreÃÂte aàl'embaucher. Bien suÃÂr nos peÃÂres ne reconnaissent pas tous leur discours dans le noÃÂtre. Certains sont meÃÂme eÃÂtonneÃÂs qu'on les aime. D'autres ont fini par vous ressembler. Et ils ont voteàcontre notre espeÃÂrance en octobre pour sauvegarder leurs maigres rentes. Et j'irai jusqu'aàdire par loyauteÃÂ. Ils sont contradictoires et explicables. Ils n'ont pas la force aujourd'hui de sortir de l'ombre et de rentrer dans l'eÃÂcriture. Quand vous justifiez sur leur dos votre domination, consideÃÂrez qu'il leur a fallu trois sieÃÂcles pour passer de Pierre Tremblay qui ë a deÃÂclareàne savoir signer de ce interpeleàû par le notaire qui reÃÂdigeait son contrat d'engagement pour la Nouvelle-France au deÃÂbut du XVIIe sieÃÂcle, aàla troisieÃÂme anneÃÂe primaire d'Alexis Tremblay qui n'est pas membre du St. Lawrence Yacht Club ; onze geÃÂneÃÂrations pour franchir aàla mitaine trois anneÃÂes de scolarisation. Faut-il s'eÃÂtonner que nos vieux heÃÂsitent aàapposer leur croix sur nos propositions ? Moraliser sur le silence et l'inertie d'un peuple c'est souvent oublier les circonstances exteÃÂnuantes, le poids de l'histoire, une deÃÂportation, un maire Jones. J'admire votre culture sans oublier que la connaissance est une richesse et que nous eÃÂtions pauvres, pauvres de tout ce que vous aviez usurpeÃÂ. De cela ils finiront bien par se rendre compte ... Ce jour-laànos peÃÂres enfin reÃÂconcilieÃÂs avec les fils auront appris que la royauteàdont vous vous preÃÂtendez n'eÃÂtait qu'une image falsifieÃÂe d'eux-meÃÂmes. Et alors ils se confondront avec le royaume et deviendront irreÃÂductibles.DeÃÂjaàce sentiment vous inquieÃÂte qui surgit de tous les violons. Nous nous sommes payeàdes poeÃÂtes avant de faire fortune. Et les poeÃÂtes devancent les eÃÂveÃÂnements. Ils preÃÂceÃÂdent meÃÂme le reÃÂve. Ils le fomentent. Ils induisent en reÃÂvolution pour deÃÂpasser toute eÃÂventualiteÃÂ. La sagesse traditionnelle finira-t-elle par se reconnaiÃÂtre dans cette logique de sept lieues ? N'ont-ils pas eux-meÃÂmes imagineàë la suite du monde û que nous preÃÂtendons tenir ? Je n'ai d'argument que la constance de l'homme du bout du rang. Nous cherchons avec ce gouÃÂt du QueÃÂbec ancien et nouveau aàdeÃÂcouvrir et nommer un lieu aànotre mesure. Souvent aàdeÃÂfaut du vocabulaire de la lutte des classes nous le nommons pays, QueÃÂbeÃÂcoisie, Terre-QueÃÂbec, la BateÃÂche ou autrement. Vous eÃÂtes-vous aviseàd'une telle chose ? Avez-vous lu les poeÃÂtes [XXIII] qui nous posent de terribles questions ? Et si oui, qu'avez-vous fait quand on a mis Miron en prison ?Ce que vous avez fait, je vais vous le dire. Vous avez ouvert vos coffres-forts et veÃÂrifieàvos titres. Je me rends compte que je suis deÃÂposseÃÂdeÃÂ... que vous me posseÃÂdez en toute leÃÂgaliteà: car, il faut bien le dire, vos titres sont en reÃÂgle avec la loi du plus fort. Et nous y revoilaÃÂ. Toujours la meÃÂme question de vie ou de mort. Faudra-t-il encore une fois reprendre le peÃÂnible travail de cantonnier d'amener l'eau au moulin d'une parole tricentenaire, de nourrir le meÃÂme grand discours incoheÃÂrent des peuples asservis ? Car il ne reste nulle part dans les greffes des notaires aucune trace de l'heÃÂritage que nous revendiquons. Nous sommes hors la loi et le savons fort bien puisque de temps aàautre nous cherchons refuge dans la clandestiniteàet la coleÃÂre impuissante. La coleÃÂre est-elle aussi une preuve d'impuissance ? Il nous reste le discours pour eÃÂchapper aàl'espace de la farine qui nous eÃÂtreint. Nous sommes prisonniers du pain et de la bieÃÂre des autres. Sur le point de disparaiÃÂtre. EÃÂcraseÃÂs par le meÃÂpris des notaires qui s'en tiennent aux actes. Vous vous appreÃÂtez aànous mettre aàl'imparfait. DeÃÂjaàvous posseÃÂdez nos croix de chemin et nos coqs de clocher. En guise d'oraison vous direz : il s'appelait Menaud, il a bu le KakebongueÃÂ. Vous direz : il invoquait le violon, il a donneàun mauvais coup d'archet. DeÃÂjaàvous nous deÃÂcomptez sans tenir compte du deÃÂsespoir de cause.J'ai parfois l'impression d'avoir eÃÂteàlibeÃÂreàsur paroles et n'avoir pas le droit de me taire. Je radote. Je chouenne. Je reÃÂinvestis mon parolis dans le deÃÂsert, suspectant l'impreÃÂvisible, coinceàentre l'imparfait et l'eÃÂventuel. Le preÃÂsent m'est deÃÂrobeÃÂ. Un pied dans la meÃÂmoire et l'autre dans l'espeÃÂrance. Je vous eÃÂcris cela parce qu'il le fallait bien, parce que c'est plus fort que moi, parce que j'ai la mort dans l'aÃÂme d'avoir lu ce livre cruel, lucide, implacable de Jean-Paul Hautecà Âur. Livre lourd de conseÃÂquences, livre constituant presque une reddition. Livre qui eÃÂvoque une liberteàinexprimable, un eÃÂgoiÃÂsme timide, une inimitieàpeureuse, une mort dans l'aÃÂme qui n'accuse personne. Description lucide, cruelle, involontaire, deÃÂsespeÃÂreÃÂe du masochisme de l'opprimeàqui cherche par tous les moyens aàeÃÂlaborer un projet collectif susceptible de concilier un maigre possible de servitude et un timide reÃÂve de liberteÃÂ. Aàtravers le discours officiel d'une douteuse eÃÂlite et les propos plus agressifs d'une jeunesse deÃÂjaàpartie pour l'exil, Jean-Paul Hautecà Âur examine aàla loupe, sans merci, le nationalisme acadien, son triste eÃÂchec incessant et son lamentable discours. Mais ce discours est le mien. Il me raconte. Il est l'image de mon propre deÃÂbat avec les images, [XXIV] avec les mots. Le deÃÂcalque de mon ignorance et de mes redondances. De mes coleÃÂres futiles et de mes soumissions rentables. De ma laÃÂcheteàquand Michel Blanchard cherche aàobtenir le droit eÃÂleÃÂmentaire de parler ma langue devant les tribunaux d'un pays qu'on preÃÂtend le mien. Je tiens ici le meÃÂme discours aplati :Il est temps qu'on se le dise : nous sommes chez nous ici, au Nouveau-Brunswick ! Notre devise ne pourrait pas eÃÂtre ë maiÃÂtres chez nous û, comme diraient nos voisins, niais bien ë partenaires chez nous û.Qu'est-ce qu'un partenaire minoritaire, sinon un perdant ?Qu'est-ce que ce discours timide, peureux, bonne-ententiste, laÃÂche, sinon celui qui reÃÂgne aàQueÃÂbec sans couleur, sans poeÃÂsie, sans audace, vendu, traiÃÂtre au royaume ? Ils ont ë de la patience aàrevendre û, disent-ils d'eux-meÃÂmes. Et ils deÃÂsapprouvent les eÃÂtudiants d'avoir tenu un discours concret, d'avoir pris pied un instant dans la reÃÂaliteÃÂ, d'avoir deÃÂmontreàque vous ne voulez pas de nous d'un oceÃÂan aàl'autre. Ils ont accepteàla deÃÂfaite et le verdict de Jones mais ils ont l'excuse de leur pauvreteÃÂ, de leur faiblesse, d'eÃÂtre minoritaires. Mais nous et notre gouvernement outrageusement majoritaire et libeÃÂral ?Depuis 1760 nous tenons ce discours honteux. Et vous ricanez. Vous savez que nous sommes inoffensifs. Lord Durham vous a rassureàsur ce ë peuple ignare, apathique et reÃÂtrograde û. Ce qui ne l'a pas empeÃÂcheàde constater par ailleurs notre gouÃÂt pour la bonne entente.Ils sont doux et accueillants, frugaux, ingeÃÂnieux et honneÃÂtes, treÃÂs sociables, gais et hospitaliers, ils se distinguent par une courtoisie et une vraie politesse qui peÃÂneÃÂtrent toutes les classes de leur socieÃÂteÃÂ.Vraies victimes de choix pour un conqueÃÂrant ayant les vices de ces vertus et les vertus de ces vices.De prime abord, j'ai eu l'intention d'eÃÂcrire une lettre de rupture, comme on dit en amour, aàun ami anglais. Encore m'euÃÂt-il fallu pour y parvenir avoir eu droit dans ma petite vie aàune telle amitieÃÂ. J'ai chercheàautour de moi cet interlocuteur de choix susceptible d'entendre mes raisons et de me donner les siennes sur cette longue querelle de frontieÃÂres. Je n'ai trouveàpersonne aàqui eÃÂcrire ces mots simples, presque banals : dear friend, ce qui [XXV] ne peut manquer de vous paraiÃÂtre douloureux. Vos preÃÂtentions de m'obliger aàpartager avec vous une citoyenneteàbritannique et une reine eÃÂtrangeÃÂre reÃÂsistent-elles aàpareille eÃÂpreuve ? Mais vous savez vous accommoder de telles contradictions quand elles n'eÃÂcorchent que les autres et pourvu qu'elles soient rentables comme le feÃÂdeÃÂralisme. Camus avait un ami allemand et leur querelle eÃÂtait possible. Mais on n'a pas d'amis parmi ses valets. Et je suis votre serviteur. Je reconnais que vous n'aimez pas la serviliteàdes serviteurs mais vous n'avez pas su vous en passer pour accomplir vos conqueÃÂtes. Je suis donc votre serviteur pour avoir abandonneàtoute reÃÂsistance. C'est deÃÂjaàtout de meÃÂme quelque chose qui m'attache aàvous. Je connais mon mal : il se nomme la servitude. Et depuis que je m'en suis aviseàje cherche une deÃÂlivrance. Nos rapports, vous le regrettez, se sont gaÃÂteÃÂs depuis que j'ai perdu l'usage de la serviliteÃÂ, depuis que je n'accepte plus la servitude, parce que je me suis rendu compte graÃÂce aàTrudeau, graÃÂce au maire Jones et graÃÂce au courage que vous n'aurez pas de faire taire les chiens meÃÂchants et de prendre fait et cause pour mon courage, que vous voulez ma peau. Et je me sens, malgreàtoutes les bassesses de mon discours patriotique, irreÃÂfutable d'avoir eÃÂteàsi longtemps irreÃÂductible.Je ne veux plus eÃÂtre votre serviteur. Je cherche un nouveau preÃÂtexte aànos distances respectueuses. Et si je ne suis pas votre ami que me reste-t-il qui restaure mon orgueil ? C'est pourquoi cette preÃÂface je la destine et la deÃÂdie aàcelui que je nomme enfin mon ennemi pour l'avoir reconnu aàses fruits. Je n'ai aàvous proposer pour faire comprendre mon incompatibiliteàque cette image du petit train de Town of Mount-Royal qui ameÃÂne chaque matin aàleur bureau du centre-ville ces messieurs treÃÂs dignes qui tiennent toutes les ficelles de nos destins et dont vous eÃÂtes un peu complice, innocemment barricadeÃÂs derrieÃÂre les colonnes, insensibles aàl'humiliation des autres, du Financiel Post ... et je vous avouerai que je ne prends plus jamais le petit train pour ne pas abuser de la coleÃÂre. Un jour je vous parlerai de la coleÃÂre.
Choose an application
Choose an application
Choose an application
Choose an application
Canada --- Acadie (canada) --- Culture
Choose an application
Choose an application
Alphabétisation --- Développement rural --- Conditions rurales --- Alphabétisation --- Développement rural
Choose an application
Listing 1 - 10 of 22 | << page >> |
Sort by
|